Oula, ça va demander un post bobanesque:
1/ Skavlan est un show suédois-norvégien. Bien que différentes à l'écrit, ces deux langues (ainsi que le danois) sont mutuellement compréhensibles pour les natifs Scandinaves. Ce show et cette censure montrent vraiment que Suédois et Norvégiens ont une drôle de relation, faite d'amitié et de haine. Une chose est sûre, peu de Norvégiens accepteraient de se faire critiquer par un Suédois sur des affaires purement norvégiennes. Je vois cette censure comme ça, du genre: "Depuis quand les Suédois vont nous donner des leçons?"
Je ne sais pas pourquoi NRK (la télévision d'Etat norvégienne) a coupé ce passage. Ils avaient déjà coupé des critiques contre l'ancien gouvernement de gauche, donc je ne sais pas si c'est la ligne éditoriale de la version norvégienne du show de ne pas parler de politique intérieure norvégienne. Après m'être documenté sur ce sujet, il apparait que les Suédois coupent le show régulièrement. Donc difficile de savoir où se situe la censure et où se situe le choix éditorial...
Mais je suppose que tu ne parlais des problèmes d'éthique journalistique.
2/ Tout le monde politique en a un peu marre de se faire défoncer pour le FrP. Dans l'extrait coupé, Stoltenberg, l'ancien Premier Ministre de gauche, réaffirme que le FrP n'est pas un parti raciste. Contrairement à ce qu'ont dit tous les médias étrangers lors de l'élection législative de septembre, en se basant sur le prisme "Breivik était un ancien membre de ce parti", en omettant le fait qu'il s'en était barré car il le trouvait bien trop faible et laxiste. On ne peut pas taxer Stoltenberg de complaisance, au vu de son orientation politique.
Mais ça, j'en avais parlé lors de l'élection en septembre. Je suppose que tu veux parler des roms en Norvège. Petit aperçu du pays:
3/ La société norvégienne est très patriote, avec comme manifestation ultime le 17 mai, jour de fête nationale, où chacun sort
ses plus beaux habits et ses drapeaux pour montrer combien il est fier de son pays. J'adore cette journée, c'est incroyable à vivre et je regrette qu'on ne fasse pas ça en France. Mais c'est un sentiment constant, matraqué par
la pub qui te pousse à acheter local, les jeunes qui ont des bonnets aux couleurs du pays, les drapeaux très visibles partout (j'en ai même un dans mon salon, ainsi que pas mal de copains français d'ailleurs), etc... C'est une sorte de pression pour faire les choses bien, dans l'intérêt de la Norvège. Ca ne viendrait à personne de gruger les transports en commun par ex. Jubilet et Madinho confirmeront, c'est accès libre partout (métro, bus, tram), mais
95,5% des gens sont en possession de tickets valides (les 4,5% étant sûrement pour moitié des touristes qui n'ont pas compris le système

).
4/ Mais la distinction entre patriotisme bon enfant et le nationalisme qui mène au racisme est parfois tenue. Ils sont très à cheval sur l'intégration, le fait de respecter leur culture, etc... Par ex, ils apprécient énormément qu'un étranger qui est là pour quelques années fasse l'effort d'apprendre la langue alors qu'il pourrait très bien survivre en anglais. Mais ce n'est pas forcément très proactif comme attitude de leur part. Ce n'est pas un pays de tradition d'immigration comme la France. Au contraire, ils ont toujours eu tendance à se barrer (en Normandie puis en Islande au Moyen-Age, au Minnesota au XIXè siècle, etc). C'était sûrement l'un des pays les plus pauvres d'Europe dans les années 60, avant que le pétrole ne vienne tout révolutionner. Du coup, plein de gens viennent et la machine à intégrer fonctionne très mal à mon sens. Par ex, les écoles de l'est d'Oslo n'ont pas un seul enfant issu de parents norvégiens. La copine allemande d'un pote bosse dans un jardin d'enfant de l'équivalent de la porte de la Chapelle à Paris. Pas un enfant ne parle norvégien chez lui, pas un encadrant ne parle norvégien. Après, les gens vont râler contre le kebabnorsk... Mais l'Etat ne fait pas en sorte que les gamins arrivent à l'école en parlant un norvégien correct.
5/ C'est aussi la faute des Norvégiens. Le cycle de la vie est très simple ici. Prenons l'exemple d'Oslo, que je connais bien. Le découpage riches/pauvres se fait comme en IDF. Pauvres à l'Est, riches à l'Ouest. Donc pour résumer. Tu habites en coloc dans un quartier bobo pendant tes études. Tu te mets en couple et tu vas habiter dans Oslo-Est, là où les loyers sont moins chers, tout en restant proche du centre-ville et de la gare centrale pour aller taffer le matin dans les zones de bureaux. Puis tu fais un gosse. Et au moment où il doit rentrer au jardin d'enfant, tu te barres dans le riche Oslo-Ouest ou en banlieue ouest, car tu ne veux pas qu'il grandisse avec des enfants d'immigrés et démarre sa scolarité dans de mauvaises conditions. Zéro mixité sociale. A Tøyen, quartier immigré pakistanais/somalien par excellence, 66 enfants "ethniquement" norvégiens devaient rentrer à l'école au CP.
Seuls 2 n'ont pas été envoyés dans une autre école avant la date limite. Et ainsi les écarts se creusent, dans un pays qui est cependant parmi les mieux placés au coefficient de Gini. Arrivé à l'âge adulte, à expérience équivalente, Håkon Iversen aura donc son CV en haut de la pile, devant Jean-Michel Expat qui vient tenter sa chance, qui lui-même sera devant Mohamed Hussain qui a pourtant un passeport norvégien.
Voilà pour la situation globale. Pas facile d'être un immigré, surtout si tu n'es pas blanc d'Europe occidentale...
Par contre, pour les roms, c'est encore pire. Ils ne sont pas immigrés, ils sont saisonniers dans le sens où la grande majorité se barre quand il commence à cailler. Y'en avait aucun quand je suis arrivé il y a 4 ans, maintenant ils sont à tous les coins de rue. Certains restent même en hiver. Mais s'ils le voulaient, ils n'auraient aucune chance de s'intégrer ici. Etant citoyens européens, ils ne peuvent pas demander l'asile, qui serait probablement rejeté de toutes façons. Pour louer un appart, il te faut un compte en banque. Pour avoir un compte en banque, il te faut un numéro d'identification unique, que tu ne peux en tant qu'étranger obtenir que sur présentation de contrat de travail (pour faire simple). Et ils n'ont aucune chance de trouver un taf (aucune compétence en norvégien pour les jobs classiques, ni en ingénierie pétrolière pour aller se gaver de pétrodollars, donc c'est mort pour 99,99% des jobs). Donc ils font la manche, volent des smartphones dans le métro (
70% des interpellés sont à Oslo des Roumains), fracturent des caves pour
voler des vélos ou des skis (tout le monde à Oslo connait au moins 5 personnes à qui c'est arrivé)
C'est un fait, la délinquance est majoritairement itinérante (Roumanie pour les larcins, Pologne et Lituanie pour la contrebande, car elle suit les flux migratoires très forts depuis ces 2 pays). Le directeur de la Police d'Oslo le dit clairement:
La police interpelle rarement des ethniques Norvégiens pour vols. Et "le problème, c'est les étrangers, pas les immigrés".
Donc ces roms font face à un ras-le-bol, racisme, dédain, stigmatisation (choisissez le terme approprié), exprimé de façon relativement ouverte, tous les jours, dans les journaux et dans la rue. Et y'a pas tellement de langue de bois dans la population sur ce sujet. Ils ne leur voient pas un objectif d'intégration, de travailler et surtout de payer des impôts. Et ça, ça les énerve. Le fait de ne pas participer à la bonne marche de la société, c'est pire que tout... Quand le FrP est arrivé au pouvoir, je disais sous forme de boutade que j'allais peut-être me faire expulser du pays, pour tester les réactions. Tout le monde m'a répondu pareil. "Tu ne risques rien". Et ce n'est pas car je suis français et membre de l'espace Schengen ou car je suis blanc. Leur argument à tous a été: "Tu travailles et tu payes des impôts, tu n'as aucun risque".
Donc cette polémique d'émission censurée revient à parler de la problématique des roms, qui n'est au fond guère différente d'avec la France j'imagine.