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L'effet France-Brésil
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NOUVELOBS.COM | 29.06.06 | 10:16
La presse française revient jeudi 29 juin 2006 sur la qualification de la France pour les quarts de finale du Mondial 2006
LE FIGARO
Yves Thréard
"(...) Après le triomphe de 1998, la France, grande puissance devenue moyenne, la nation, appelée, qu'on le veuille ou non, à s'effacer sous la construction européenne, avait trouvé un prétexte pour rebomber le torse. (...) Alors, nous avons refusé de voir Zidane vieillir, quitter, un temps, le maillot chéri. Nous n'avons pas eu la patience de reconstruire une équipe, avec de jeunes joueurs, moins gradés, moins aguerris. Nous n'avons pas reconnu les efforts ou les progrès faits par nos adversaires. Et nous avons fini par traiter les Bleus, version 'black-black-black', de tous les mots, pour les identifier à ce pays que certains observent sur le déclin. Ingouvernable, irréformable. (...) La France est sur un petit nuage, elle sait qu'elle retrouve le Brésil au prochain tour. Si elle perd, elle n'aura pas de remords, car ce match-là, pour elle, est comme une finale avant l'heure.
A tout seigneur, tout honneur. L'affront de la médiocrité aura été lavé. Nostalgie, nostalgie... Si elle l'emporte, on en reparlera. Déjà, les exégètes affûtent leurs plus séduisantes analyses."
L'EQUIPE
"L'équipe de France n'a pas encore gravi toutes les marches du succès dans cette XVIIIè Coupe du monde mais elle semble déjà avoir atteint un sommet. (...) Pour le plaisir, pour doper le moral à défaut d'améliorer l'économie. Un mental de vainqueur, c'est ce que l'équipe de France devait afficher fortement dans cette Coupe du monde dont l'audience n'a jamais connu pareil pic d'intérêt à ce point de la compétition. De ce fait, l'embellie soudaine autour des Bleus est au moins aussi imposante que le scepticisme qui planait à juste titre, au-dessus de leur tête".
LE PROGRES
Francis Brochet
"Tout va si vite, sur notre planète médiatique. Paria un jour, héros le lendemain. Le foot tricolore faisait notre désespoir, c'est soudain 'que du bonheur', pour citer le Premier ministre. Villepin lui-même, le villipendé d'hier, le fauteur de guerre majoritaire, renaît en 'pacificateur'.
Et tout ça pourquoi ? Parce qu'il a juré hier n'avoir 'aucune ambition présidentielle'. Très bien. Mais il l'avait déjà affirmé, et moult fois. D'ailleurs, un villepiniste prévient : 'C'est un message à ne pas surinterpréter'. En clair, l'absence d'ambition n'impliquerait pas l'abstinence. Dès lors, la paix ne serait qu'une trêve, entre deux guerres. Oui, tout va trop vite. Le grand bonheur bleu d'aujourd'hui, qui paraît d'un coup dégager l'horizon des Français - qu'en restera-t-il, si un simple petit coup de pied brésilien nous élimine ?"
OUEST-FRANCE
Didier Pillet
"(...) Toute jolie qu'elle est, la victoire n'est cependant pas tout. Elle est, certes, importante : ne la boudons pas puisqu'elle promet de prolonger le divertissement au moins jusqu'à samedi soir. Non, ce qui a frappé, ce que l'on retiendra de cette mémorable soirée, c'est l'envie de toute une équipe. (...) Le mérite des Bleus est d'avoir su remettre en marche la machine à fabriquer du désir.
(...) Et de proposer à notre vieille nation fatiguée, hantée par le doute, un modèle non pas de talent, ni même de puissance, de ruse ou d'intelligence, mais un bloc de désir capable d'entreprendre avec confiance dans ses capacités et audace dans l'action. Une leçon dont la valeur dépasse celle d'une place de quart de finaliste. Ces Bleus-là pourraient se retirer la tête haute, ils nous ont transmis l'essentiel."
LA PROVENCE
Gilles Dauxerre
"(...) Faut-il espérer que la Coupe du Monde 2006 fasse à nouveau souffler l'esprit de 1998 ? Zinedine Zidane est toujours capitaine des Bleus. Jacques Chirac et Lionel Jospin entretiennent le suspense sur leur candidature en 2007 et Jean-Marie Le Pen est déjà en embuscade. La mondialisation de l'économie fait peur, l'emploi stagne, l'insécurité reste préoccupante. Rien de nouveau sous le soleil. Le football reste un jeu, la politique un théâtre, et les acteurs les mêmes. Ne boudons pourtant pas notre plaisir. Une victoire, surtout incertaine, est toujours bénéfique et le sport permet d'évacuer bien des frustrations. Et puis la relève pointe son nez, sur la pelouse et sur les estrades. Alors l'esprit est peut-être à nouveau là."
SUD-OUEST
Frank De Bondt
"(...) La France est capable de passer, dans un temps très court, de l'amour d'elle-même au dénigrement de soi. Le soulagement qui s'est manifesté après la victoire sur la jeune équipe espagnole vient au moins autant du sentiment d'avoir retrouvé les Bleus comme on les aime que de l'éloignement du spectre d'une déroute qui aurait plongé la France dans un abîme de doutes. Et donné raison aux 'déclinologues' qui prospèrent depuis quelque temps sur les ruines de nos illusions. Mais il ne faut pas non plus attribuer au football les vertus rédemptrices qu'il n'a pas. Il lui arrive également de camoufler des lacunes en retardant le moment où il conviendra d'y remédier. L'exemple de l'Allemagne, organisatrice du Mondial et l'une des favorites du tournoi, vient cependant contredire ceux qui minimisent l'effet rassembleur de ce qui n'est après tout qu'un jeu de ballon pour adultes. Plus de quinze ans après sa réunification proclamée, mais pas vraiment endossée, l'Allemagne vient seulement, grâce à son équipe nationale, d'afficher son unité retrouvée dans un élan de fierté partagée d'est en ouest."
L'INDEPENDANT DU MIDI
Bernard Revel
"Un match peut-il tout changer? Quelque chose d'important s'est passé mardi soir dans les têtes. Soudain, il n'y avait plus ni jeunes ni vieux. Il y avait une équipe unie qui, sur le terrain, montrait combien la victoire pouvait être belle. A nouveau, tout devient possible. Et déjà, l'on rêve d'une France qui se regarde dans le miroir bleu et se reconnaît. Une France blanc-black-beur qui ne se déchire plus et, toutes générations confondues, se remet à y croire. Bien sûr, le football n'est pas la vie. On ne terrasse pas en 90 minutes des adversaires comme la peur de l'autre, le refus des différences, le repli sur soi. Au lendemain des victoires sportives, on l'a vu en 1998, le naturel revient vite au galop. Mais le bonheur d'un soir, fût-il intense et dût-il se renouveler, est bien inutile s'il ne nous aide pas à résister à nos vieux démons."