Eric Poulat témoigne
Seul arbitre français au Mondial allemand, Eric Poulat parle avec franchise et courage de la situation de sa corporation rattrapée aujourd'hui par « l'affaire Pettinato »
NANCY. - M. Poulat, est-il plus difficile d'officier aujourd'hui qu'hier ?
- Evidemment. La pression environnante est grandissante vu les enjeux financiers. Il suffit de voir ce que Canal Plus investit pour comprendre quel devoir de résultat nous est imposé. Selon moi le plus gros problème concerne l'ingérence des médias. Avec ces vidéos qui montrent vingt ou vingt-cinq fois les mêmes actions, avec quatre ou cinq consultants. Et toujours les mêmes images en boucle ! On est complètement dépassé par rapport à toute cette technologie, la moindre erreur est tellement amplifiée.
- Vous condamnez aujourd'hui le « ëtout images » ?
- Il fait plus de mal que de bien. Mais que voulez-vous, il y a une telle recherche d'audimat ! On devrait raisonner en terme d'éducation mais c'est le contraire. On cherche uniquement à se focaliser sur les erreurs.
- Y compris les consultants en arbitrage, tous ces anciens arbitres ?
- Effectivement. Et on s'en est offusqué. On était les premiers contents quand quelqu'un comme Joël Quiniou apportait des éclairages car il le faisait de façon très digne. Il expliquait les processus qui aboutissaient aux décisions. Aujourd'hui Gilles Veissière, pour ne pas le citer, trouve toujours la petite bête et enfonce le corps arbitral.
- Tous les arbitres ?
- Oh oui je crois ! On était tous encore en réunion ce lundi et on en a ras-le-bol. On va prendre des mesures par rapport à ce comportement destructeur.
- Qui contribue à fracturer encore davantage une famille déjà très désunie ?
- Mais voyez-vous je pense qu'elle est en train de se reconstituer. Une ancienne génération est partie, elle n'avait plus la même conception. Aujourd'hui il n'y a plus de vrai leader, on ne vit plus sous ce despotisme, c'est en train de changer, on vit de nouveau dans la convivialité.
- Même s'il y a trois syndicats au lieu d'un ?
- Tout reposait sur une seule association, l'UNAF. C'est une bonne idée que de partager le pouvoir syndical comme cela se passe dans tous les métiers. Cela permet à chacun d'extérioriser ses idées. C'est une bonne chose.
Le problème de l'argent
- Pensez-vous que l'argent que gagne les arbitres, plus important aujourd'hui qu'hier, ait été un cadeau empoisonné ?
- Cela Michel Vautrot l'avait dit dès le début, il y avait avoir de la pression autour de nous. Mais par les temps qui courent, vu les exigences qui sont les nôtres et de toutes les matières, comment voulez-vous exercer un travail à côté ? Quelque part la contrepartie est parfaitement légitime aussi quand on regarde la répartition du gâteau. Nous, les arbitres, on doit avoir un budget qui représente 3 ou 4 % de celui de la LFP.
- Les dirigeants ont tout de même l'impression de vous tenir avec cet argent ?
- C'est vrai surtout depuis notre changement de statut. Et encore avec les augmentations qui vont suivre, cela risque de ne pas s'arranger. Surtout quand les résultats ne vont pas.
- L'Europe que vous avez sillonné en long et en large en tant qu'arbitre international, vient d'être secouée par plusieurs scandales. Pensez-vous la France à l'abri ?
- En Allemagne, je crois que la corruption était le fait d'une seule personne, un jeune qui a pété les plombs. En Italie ce qui s'est passé m'a abasourdi. Je pensais ce pays à l'abri compte tenu que les arbitres sont payés deux ou trois fois plus que chez nous. Comme quoi... Mais franchement à cette heure je ne vois pas comment la France peut en arriver là. Ce que je peux affirmer c'est que personnellement depuis douze ans, je n'ai jamais senti une déstabilisation de cette sorte. Mais les mentalités changent. Vous savez je connaissais très bien Maximo de Santis, je suis désorienté par rapport à cela. Je pense qu'il ne s'est pas rendu compte.
« J'espère qu'un jour on saura »
- Justement en France, « ël'affaire Pettinato » ne prouve-t-elle que des manoeuvres identiques se tramaient ?
- Je me le demande quand je vois une personnalité intouchable comme celle de Michel Vautrot, une telle figure emblématique qui a donné sa vie pour l'arbitrage se faire lyncher. J'ai vu la dérive quand il a commencé à dénoncer certaines choses, j'ai vu la réaction des anciens, j'ai vu les manigances de l'UNAF et de Saules, je connais tous les tenants et les aboutissants et je n'ai aucun doute ! Michel Vautrot est entré dans un cercle infernal car certains se sont sentis pris en faute. Et ils se sont mis sous protection politique. Il n'y a pas eu alors de plainte de la fédération, voilà qui est grave. J'espère qu'un jour on va découvrir qui était derrière ce parrainage obscur.
- Pettinato, vous l'avez vu à l'oeuvre chez les arbitres ?
- Mais bien sûr. Il m'appelait une ou deux fois par semaine au début, il vivait comme un parasite parmi nous. Moi j'ai vite compris et je m'en suis vite débarrassé. Mais il est resté car il était lié à la dérive de certains de mes collègues. Ceux qui avaient fait affaire avec lui se sentaient redevables.
- Il agissait seul ou était-il téléguidé ?
- J'ai encore du mal à comprendre aujourd'hui. En tout cas certains se sont servis de cette affaire pour museler ceux qui voulaient défendre Vautrot. On a senti à ce moment-là que c'était dangereux.
- Est-ce pour cela que vous avez quitté l'arbitrage international ?
- Disons que la Coupe du monde était la cerise sur le gâteau, je voulais ne garder que de bons souvenirs. Je commençais à saturer entre les convocations de milieu de semaine en Ligue des champions et le championnat de France.
Recueilli par Christian FRICHET