IL ETAIT UNE FOIS DANS LOUEST DE MARSEILLE
CHAPITRE 3
O.M.
Il sétait pointé avec une bonne demi-heure davance et avait préféré aller boire un café de lautre côté du boulevard Michelet, histoire de ne pas se faire remarquer dès le premier jour en arrivant trop tôt.
Olivier avait très peu dormi cette nuit-là, tel un enfant une nuit de Noël. Trop excité à lidée de sentraîner durant toute la semaine avec les Pros. Exactement comme lors de son tout premier match en pupilles, lorsque, après avoir ciré ses chaussures et soigneusement plié ses affaires de sport au pied de son lit, il avait passé les trois-quarts de la nuit à les observer, dans une semi obscurité, en imaginant une succession de phases de jeu dont il était immanquablement le héros. A laube, vaincu, il sétait endormi et il avait eu limpression que ses yeux venaient tout juste de se fermer lorsque son père était venu le secouer doucement par lépaule.
Il nétait vraiment pas frais ce matin-là mais ça ne lavait pas empêché de marquer les deux buts de son équipe, sous le regard attendri du paternel qui ne parlait pas beaucoup, lui non plus, et nextériorisait jamais ses sentiments
Cétait déjà loin, tout ça et sous un beau soleil dautomne, Olivier finissait juste de traverser limmense cour dhonneur du stade Vélodrome lorsquil vit arriver une Austin Mini bleu nuit qui vint se ranger à côté de la rutilante Alfa rouge sang de Mario.
Un costaud souriant sen extirpa : Jules Zvunka, vaillant combattant lorrain dorigine hongroise, à Marseille depuis quatre ans déjà et que le récent départ de Jean Djorkaeff pour Paris avait promu capitaine.
- Olivier, cest ça ? M. Zatelli ma prévenu. Viens au vestiaire, je vais te présenter
Les clubs professionnels, en ce temps-là, étaient bien moins structurés quaujourdhui : 15 ou 16 joueurs professionnels, pas plus, un seul entraîneur, deux kinés, un prof de gym trois matins par semaine en guise de préparateur physique - innovation due à Mario et que bien peu de clubs avaient encore reprise. Deux journalistes aussi, pas plus, un pour chacun des journaux régionaux, qui faisaient quasiment partie du groupe, allant et venant à leur guise, y compris dans les vestiaires.
Comme le football avait changé en trente ans ! Enfin, son environnement parce que le jeu, lui
Plus rapide certes, pratiqué par des garçons mieux préparés et formés dès la petite enfance. Mais les principes de base étaient les mêmes.
- Un jeu dadresse et dintelligence avant tout, aimait à répéter Mario. Après viennent la vivacité et la disponibilité. Et puis le physique, bien sûr, qui est le plus facile à acquérir
Il aimait bien la passe à dix, quil faisait pratiquer soit à la main soit au pied à ses hommes, afin que lart du démarquage devienne chez eux une seconde nature.
- Vous avez vu jouer les Nantais, les gars ? Vous avez vu comme leur jeu est fluide ? Le secret du football cest ça, moi je vous le dis. Je donne la balle et hop, je me démarque. Quand le porteur du ballon a, non pas une, ni deux, mais trois ou quatre solutions de passe, alors le foot ça devient vraiment facile. Il ne reste plus quà faire le bon choix
"
De ce premier entraînement mémorable, Olivier avait par dessus tout retenu le petit match qui lavait conclu, disputé avec de grands buts sur une moitié de terrain, afin de bien utiliser les espaces en largeur.
Et plus particulièrement deux de ses gestes, que sa mémoire avait imprimés à jamais. Il y avait dabord eu cette longue passe aérienne quEdouard Kula lui avait adressée alors quil se trouvait sur le côté droit. Son amorti de la poitrine et le contrôle du pied qui lavait suivi, tous deux parfaits, lui avaient permis de garder la tête haute, comme toujours, et il avait parfaitement vu partir Roger Magnusson devant lui sur son aile.
Mais il ne lui avait pas envoyé le ballon, jugeant le geste trop prévisible ! Extrêmement timide dans la vie, Olivier ne létait plus dès quil se trouvait sur un terrain où sa facilité technique lui permettait même davoir un joli culot. Et il en fallait une belle dose pour négliger ainsi lappel de balle dun monstre sacré tel que le Suédois, véritable phénomène du dribble et, accessoirement, encyclopédie vivante du football
Roger parlait le suédois, langlais, lallemand, litalien et le français, achetait tous les journaux sportifs de ces pays et savait tout sur tout. Cétait aussi et surtout un garçon charmant, dune modestie exemplaire, lanti-star par excellence. Pas le genre à se formaliser dune passe non arrivée et encore moins lorsque cétait pour la grandeur du jeu !
Car ayant aussitôt effacé son opposant en ramenant le ballon vers larrière dun extérieur du pied gauche, Olivier adressa dans le même mouvement et sans élan une transversale de 35 mètres qui tomba très exactement dans la foulée de Charly Loubet, dont le contrôle orienté trompa tout à la fois " Diego " Lopez et Jean-Paul Escale, le gardien de but.
Puis il y avait eu ce but inouï quOlivier sétait repassé sans fin sur lécran noir de ses nuits blanches et quil revoyait, aujourdhui encore, avec une netteté absolue
Sur ce coup-là, Magnusson avait effacé deux joueurs sur son aile, dans son style si particulier, avant de centrer en retrait en direction du point de penalty et dOlivier qui, lancé en pleine course, avait eu le temps dapercevoir le maillot rouge dEscale au premier poteau et le geste défensif désespéré de Jules Zvunka, mettant tout son corps en opposition. En reprenant ce ballon en première intention, comme laurait fait le commun des footballeurs, Olivier aurait été immanquablement contré.
Alors dinstinct et en un quart de seconde, il osa un geste qui peut sembler anodin aujourdhui mais qui ne létait pas du tout en 1970. Parti pour reprendre ce ballon du pied droit, il arrêta en fait sa jambe de frappe au dernier moment et, du talon droit, poussa légèrement le ballon vers lavant et vers la gauche au moment où il passait entre ses jambes. Puis, avec une vivacité incroyable, il entreprit une volte à 180 degrés, le dos tourné au but, voyant défiler devant ses yeux la tribune Ganay, le virage sud et la tribune Jean-Bouin avec les petits pupitres de la presse. Ah, quel dommage quils naient pas été allumés, ces pupitres et que le stade nait pas été plein pour voir ce but sortant vraiment de lordinaire
Car à la sortie de son mouvement, bien sûr, le but était grand ouvert devant lui. Il ne se contenta pas de pousser le ballon néanmoins mais plaça une frappe sèche, au ras du gazon, qui alla se ficher très exactement à lintersection du grand et du petit filet. Le geste, dans sa globalité, était si inattendu, si magnifique, quil déclencha les applaudissements de ses compagnons de jeu, dordinaire avares de ce type de manifestation denthousiasme pourtant.
Et quà la fin de la semaine, le journaliste Louis Dupic, lun des rares témoins de la scène, allait lui consacrer un petit encadré dans la Liberté, sous le titre " Un O.M. pour demain ".
" En quelques séances dentraînement, avait-il écrit en substance, ce jeune homme de 18 ans, pur produit du club, nous a montré plus de choses que certains de ses devanciers en un an.
Olivier Martin, aux initiales prédestinées, possède en lui toutes les virtualités pour devenir le grand O.M. de demain
"
punaise, cétait il y a 34 ans
X
XXX
- Et voilà, et voilà, et voilà
!
Tu te rends compte de ce que tu as déclenché ? A cause de toi et de ta chanson moqueuse, Bouchet a viré Perrin et on est repartis pour se ronger les sangs pendant des mois
Oh, Sylvère, cest grave ce que tu as fait ! " Y pas djoie " ! Ah, je ten foutrai, moi, du " Y a pas djoie "
!
Dédé et Pascal, insensibles à la pitié, avaient entrepris de jouer une fois de plus avec la naïveté de leur souffre-douleur préféré.
Le Poète, un peu inquiet tout de même, protestait mollement de son innocence, façon Gaston Lagaffe endiguant la colère de Prunelle.
- Menfin, cest pas moi, arrêtez
Cétait pas grand chose, ce truc-là. Et puis Bouchet la pas vu
- Alors là, tu te trompes, dit Dédé avec lair mystérieux de celui qui en sait plus. Il prit un temps, histoire de laisser saccroître la sourde inquiétude envahissant le Poète, dont les mains étaient soudain devenues toutes moites.
- Tu sais, Lulu, le fils aîné de ma sur ? Eh ben, son meilleur copain, il sort avec une fille qui est en stage en ce moment, au secrétariat de lO.M.. Et elle sait bien, elle, que Bouchet passe sa vie sur le web, à lire tout ce qui se dit sur le club !
- Quoi ? dit Sylvère, de plus en plus troublé.
- Interné ! Tu connais ça, toi, interné, non ? Oui, à mon avis, tu dois connaître
Le fourbe prit à nouveau un temps et même deux, afin que le bar tout entier ait le temps de rire de son trait desprit.
- Eh ben, y a un site, là, OpiOM ou je sais pas quoi, dirigé par un petit mickey un peu dingo qui se fait appeler Pixou. Et ils ont mis ta chanson sur le site ! Et Bouchet la lue. Je dis pas quil la chantée, hein ! Mais pour la lire, oui, il la lue
- Quand on est président de lO.M., on connaît la chanson, dit sentencieusement son complice Pascal, avec un air den avoir deux.
- La petite, là, celle qui sort avec le copain de mon neveu, eh ben elle a raconté que Bouchet est devenu tout pâle et quil a dit " Cette fois, cest fini, les supporters nous prennent pour cible ". Juste ça, pas plus : " Cette fois, cest fini
" Et il a nommé la caution Marseillaise sur le champ !
- Avec la caution Marseillaise, on y go ! Et tout droit ! ajouta sobrement le petit Pascal, décidément en verve.
Dans létat de candeur qui était le sien depuis sa naissance, le Poète avait parfois des fulgurances, des éclairs de lucidité ou de méfiance qui le ramenaient de plain-pied dans la réalité.
- Et dabord, comment elle serait parvenue jusquà ton Pixou, ma chanson ? demanda-t-il, soudain soupçonneux.
- Ca, cest un mystère ! Va savoir, il y a peut-être quelquun qui te veut du bien et qui a fait ça pour taider à te faire connaître
Ou alors il se peut aussi quil y ait un traître ici, répondit Dédé en faisant lentement du regard le tour de lassistance
.
Théophile Cabot de la Cèze
(A suivre)