15-02-2005, 19:19
La charcuterie exhalait ses arômes épicés, la douce chaleur du poêle réconfortait les chalands en file indienne devant l’étal, attendant leur tour sans impatience trop heureux d’avoir momentanément quitté ces rues balayées par un cinglant mistral. L’esprit engourdi par cette douce torpeur, j’attendais mon tour.
L’édito pour Bastia – OM occupait mes neurones ankylosés. Diable ! Il ne fallait pas tomber dans les poncifs les plus éculés, éviter les discours guerriers qui fleurissaient sur certains forums, trouver le bon angle, l’éclairage le plus habile, il n’était pas question de jouer à l’allumeur de vrais berbères comme après un match amical de triste mémoire ni de mettre en veilleuse, j’espérais l’illumination mais dans ma tête on avait décrété le couvre-feu…
_ Pour Monsieur ! Qu’est ce que ça sera ? Interpelle la charcutière.
Sortant de ma léthargie je me rends compte que plus personne ne me précède.
_ Alors ? Surenchérit la matrone.
_ Pardonnez moi je pense à la Corse ! Balbutie-je.
_ Alors j’ai ce qu’il vous faut ! Lonzo, figatelli, coppa !
_ Kopa ? Vous n’avez rien de plus frais ?
_ Raymond ! Viens voir, y a un client qui a des doutes sur la marchandise !
Le dénommé Raymond sort rubicond de l’arrière boutique, le hachoir à la main le tablier sanguinolent.
_ Non ! Il y a méprise, bredouille-je en rougissant devant les regards méprisants des ménagères alentour.
_ Donnez-moi donc du jambon corse !
_ Pour combien ?
_ Cinq belles tranches….. S’il vous plait.
Quelle andouille me traite-je dans mon for intérieur, qui n’était pas assez fortifié pour résister à la vision d’un boucher charcutier muni d’un hachoir. Ce maudit édito me met dans des situations pas possibles.
_ Raymond ! Viens parer le jambon.
Allons bon revoilà mon tortionnaire, ce coup ci, il a abandonné son arme de prédilection pour un long couteau qu’il affûte avec une diabolique habileté sur un fusil à aiguiser.
_ C’est pour ce monsieur ? Interroge-t-il d’un sourire qui me glace autant que le bruit démoniaque de la lame au contact de l’aiguisoir.
Je vérifie discrètement que ma tête est toujours reliée à mes épaules et la remue de haut en bas en guise d’acquiescement.
_ C’est que c’est tout un art de parer un jambon, il faut enlever la couenne et conserver le gras, tout est dans l’entame, comme disait mon grand-père à mon père qui me l’a souvent répété tout est dans l’entame !
Tout est dans l’entame ! Monsieur Raymond m’avait ouvert les yeux, mais oui mais c’est bien sur comme le pérorait un de ses homonymes jadis en se tapant le dos de la main dans la paume de l’autre, l’affaire était résolue, le fil de l’édito reconstitué.
Heureux, je quittais l’odorante boutique distribuant des baisers à la volée devant l’assistance interloquée, même en ce jour de Saint Valentin.
L’entame pour le jambon, l’amorce pour le pêcheur, l’entrée pour un futur fiancé, l’aurore pour une belle journée, l’aube pour un communiant, non là je m’emporte !
L’entrée en matière, une spécialité locale à Furiani où la formule est prise au sens propre.
Un peu à la manière de mon inspirateur Raymond, le Bastiais rentre volontiers dans le lard ! Poussé par un chaud public, l’atmosphère est électrique, les chants partisans, les bombes agricoles bruyantes, la fierté de tout un peuple se focalise sur ce rectangle vert, parfois jauni, où les 18 morts et quelques 2300 blessés du vilain mois de mai 1992 ont sacralisé ce lieu, cette terre, ce territoire.
Une fierté qui se conjugue avec audace et parfois avec godasse, lorsque l’orgueil déborde sur l’impétuosité mal contrôlée. Pourtant Bastia n’est pas intraitable à domicile elle y a laissé des plumes en flânant trop sur l’oreiller mais l’OM c’est un gibier de choix et dans tout Corse qui se respecte il y a un chasseur qui sommeille.
L’équipage corse s’est reconstitué en janvier recevant l’apport d’anciennes gloires revanchardes Ziani et Karembeu, des affaires après faillite et un Cherrad qui veut effacer par le jeu une période ternie par l’extra sportif. Trois has been pour les mauvaises langues et pour compléter le carré d’as un international suisse prénommé Bernt.
Pour l’OM ces derniers matchs ont été réussis marquant rapidement son territoire, s’assurant des fins de parties tranquilles où la vigilance collective assurait l’essentiel.
L’équipe semble irrésistible à l’extérieur et l’adversaire du jour balbutie trop souvent son football à domicile, mais comme l’écrivait Giono " la raison et la logique c’est pour les temps ordinaires ". S’imposer à Furiani est une redoutable tâche, une nouvelle étape, une marche qu’il faut enjamber sans trébucher si l’on veut espérer rejoindre les étages supérieurs. L’absence de notre Costa brava, infatigable guerrier, doit être compensée par cette solidarité collective qui caractérise l’OM depuis quelques matchs. Aux Olympiens de poursuivre sur leur lancée en réussissant l’entame, en marquant rapidement, un démarrage au quart de tour, sans crier gare( même à Furiani ) marquer de but en blanc, annihilant ainsi dans l’½uf la révolte insulaire.
Marquer deux buts en blanc c’est troubler une équipe corse en proie au doute, c’est jeter le désarroi dans une enceinte échaudée par des résultats mi-figue, mi-raisin, c’est déconcerter le versatile public de Furiani et le déposséder de son influençable pouvoir.
Cétacé