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Ci après la chronique de Didier Braun dans l'Equipe aujourd'hui. Ci après parce que ça a à voir avec Marseille et que c'est bien.




MARCEL EST MORT. Le lecteur de L’Équipe n’avait aucune raison de connaître Marcel, sauf s’il était en même temps lecteur de longue date du quotidien communiste la Marseillaise. Marcel n’était pas un champion. Mais Marcel connaissait tout de L’Équipe, tout de son cher Olympique de Marseille, énormément de choses sur le football et sur tout le sport. Marcel était une encyclopédie.
Cet inconnu disparu mérite la citation parce que les gens comme lui sont les rares détenteurs de la vraie « culture sportive ». À quelques jours de sa fin, nous dit son épouse, seul l’intéressait encore le football. Sa passion, enracinée au plus profond de l’enfance, était intacte et porteuse d’espoir. Ce sacré football pouvait donc accompagner la vie et animer l’esprit jusqu’au bout du chemin.

Chaque fois que nous l’écoutions au téléphone, sa sagesse, ses petites colères gentilles et son enthousiasme intact étaient rassurants. Les visites à son appartement marseillais, dans ce quartier où les rues portent les noms du Comte de Monte-Cristo, étaient sources d’enrichissement garanti. Il nous enseignait toujours quelque chose du foot, de Marseille, de la vie. Son langage pagnolesque évoquait le stade de l’Huveaune d’autrefois. Ben Bella était le nom d’un joueur de l’OM avant d’être celui du premier président de la République algérienne. Albert Batteux, il l’avait vu jouer sous les couleurs de Château-Gombert sous l’Occupation. L’équipe de France, il l’avait découverte à Marseille en 1942. Ce football des années sombres, celui de ses vingt ans, il était un des rares à s’en souvenir parfaitement, dans le détail de ces équipes bringuebalant d’un côté à l’autre de la ligne de démarcation.

On s’amusait à l’interroger sur des faits incertains ou enfouis dans l’oubli. Neuf fois sur dix, la réponse fusait, sans hésitation. Il glissait dans la conversation le nom de Paul Thomas, joueur messin détenteur de la licence professionnelle no 1. Il récitait par c½ur la liste des vainqueurs du concours du jeune footballeur et vous demandait si, par hasard, votre père n’avait pas joué en équipe de France militaires avec Glowacki, Wadoux et Strappe.

Quand, fait rarissime, il avait un trou de mémoire, il ne surfait pas sur Internet mais ouvrait l’armoire aux enchantements des vieux papiers, vieux journaux, vieilles photos, vieux cahiers remplis de son écriture fine et économique. Vaguement désolé d’avoir vu sa mémoire prise en défaut, il vous présentait fièrement, sorti avec délicatesse d’un rayonnage où sa collection sommeillait en rang impeccable, un document rare, déniché dans quelque brocante ou quelque foire aux papiers, à moins qu’il ne l’ait échangé avec un de ses semblables, sans doute aussi à cheval que lui sur les principes de la statistique ou de la vérification de l’information. Il pouvait pousser une grosse colère en prenant les journalistes en flagrant délit d’ignorance (« Eh, peuchère ! ils sont jeunes »), ou partir en guerre contre une décision du district des Bouches-du-Rhône – le bonhomme avait tâté de l’arbitrage sur les petits terrains enfiévrés de la région marseillaise.

Il pestait contre les m½urs modernes mais savourait le talent des beaux joueurs du temps présent. Il rageait contre les furieux qui avaient envahi le boulevard Michelet et contre les nouveaux dirigeants aux allures de parvenus, mais il était toujours triste quand l’OM n’allait pas bien, surtout, sans doute, depuis qu’un ancien camarade de la Marseillaise en avait pris la tête. Il se réfugiait auprès des vieux de la vieille pour constater les rangs dégarnis, mais récitait encore par c½ur les équipes de la saison dernière. Il y avait en lui quelque chose du Modeste de Brassens et, là où il est aujourd’hui, en lisant L’Équipe comme chaque matin, il doit grogner contre ces lignes à lui consacrées : « Décidément, les morts sont tous de braves types », comme le Sétois dans le Temps passé. Nous, nous pensons plutôt à la célèbre phrase du sage Amadou Hampâté Bâ : « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »



DIDIER BRAUN
merci douanier Wub
le douanier Rousseau a écrit :Ci après la chronique de Didier Braun dans l'Equipe aujourd'hui. Ci après parce que ça a à voir avec Marseille et que c'est bien.




MARCEL EST MORT. Le lecteur de L’Équipe n’avait aucune raison de connaître Marcel, sauf s’il était en même temps lecteur de longue date du quotidien communiste la Marseillaise. Marcel n’était pas un champion. Mais Marcel connaissait tout de L’Équipe, tout de son cher Olympique de Marseille, énormément de choses sur le football et sur tout le sport. Marcel était une encyclopédie.
Cet inconnu disparu mérite la citation parce que les gens comme lui sont les rares détenteurs de la vraie « culture sportive ». À quelques jours de sa fin, nous dit son épouse, seul l’intéressait encore le football. Sa passion, enracinée au plus profond de l’enfance, était intacte et porteuse d’espoir. Ce sacré football pouvait donc accompagner la vie et animer l’esprit jusqu’au bout du chemin.

Chaque fois que nous l’écoutions au téléphone, sa sagesse, ses petites colères gentilles et son enthousiasme intact étaient rassurants. Les visites à son appartement marseillais, dans ce quartier où les rues portent les noms du Comte de Monte-Cristo, étaient sources d’enrichissement garanti. Il nous enseignait toujours quelque chose du foot, de Marseille, de la vie. Son langage pagnolesque évoquait le stade de l’Huveaune d’autrefois. Ben Bella était le nom d’un joueur de l’OM avant d’être celui du premier président de la République algérienne. Albert Batteux, il l’avait vu jouer sous les couleurs de Château-Gombert sous l’Occupation. L’équipe de France, il l’avait découverte à Marseille en 1942. Ce football des années sombres, celui de ses vingt ans, il était un des rares à s’en souvenir parfaitement, dans le détail de ces équipes bringuebalant d’un côté à l’autre de la ligne de démarcation.

On s’amusait à l’interroger sur des faits incertains ou enfouis dans l’oubli. Neuf fois sur dix, la réponse fusait, sans hésitation. Il glissait dans la conversation le nom de Paul Thomas, joueur messin détenteur de la licence professionnelle no 1. Il récitait par c½ur la liste des vainqueurs du concours du jeune footballeur et vous demandait si, par hasard, votre père n’avait pas joué en équipe de France militaires avec Glowacki, Wadoux et Strappe.

Quand, fait rarissime, il avait un trou de mémoire, il ne surfait pas sur Internet mais ouvrait l’armoire aux enchantements des vieux papiers, vieux journaux, vieilles photos, vieux cahiers remplis de son écriture fine et économique. Vaguement désolé d’avoir vu sa mémoire prise en défaut, il vous présentait fièrement, sorti avec délicatesse d’un rayonnage où sa collection sommeillait en rang impeccable, un document rare, déniché dans quelque brocante ou quelque foire aux papiers, à moins qu’il ne l’ait échangé avec un de ses semblables, sans doute aussi à cheval que lui sur les principes de la statistique ou de la vérification de l’information. Il pouvait pousser une grosse colère en prenant les journalistes en flagrant délit d’ignorance (« Eh, peuchère ! ils sont jeunes »), ou partir en guerre contre une décision du district des Bouches-du-Rhône – le bonhomme avait tâté de l’arbitrage sur les petits terrains enfiévrés de la région marseillaise.

Il pestait contre les m½urs modernes mais savourait le talent des beaux joueurs du temps présent. Il rageait contre les furieux qui avaient envahi le boulevard Michelet et contre les nouveaux dirigeants aux allures de parvenus, mais il était toujours triste quand l’OM n’allait pas bien, surtout, sans doute, depuis qu’un ancien camarade de la Marseillaise en avait pris la tête. Il se réfugiait auprès des vieux de la vieille pour constater les rangs dégarnis, mais récitait encore par c½ur les équipes de la saison dernière. Il y avait en lui quelque chose du Modeste de Brassens et, là où il est aujourd’hui, en lisant L’Équipe comme chaque matin, il doit grogner contre ces lignes à lui consacrées : « Décidément, les morts sont tous de braves types », comme le Sétois dans le Temps passé. Nous, nous pensons plutôt à la célèbre phrase du sage Amadou Hampâté Bâ : « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »



DIDIER BRAUN

Oui c très ien écrit, encore plus parcequ'on est marseillais. Mais comme d'habitude la chronique est bonne! Et ça fait plaisir de lire ce genre de chose de temps en temps. Ce n'est pas un réçit de match, mais une tranche de vie. Comme on les aime. Pleine de souvenirs, de tendresse et malgré tout de gaieté.
au revoir marcelBye1

pauvre martin...